L'image sociale des prénoms

le 12/11/2020 à 09h35 par  - Lecture en 4 min Ajouter à votre selection
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On parle depuis des années de l'utilité du CV anonyme dans le cadre des recherches d'emploi pour éviter toute discrimination ethnique à partir du nom de famille. Mais on pense plus rarement aux prénoms, qui sont pourtant parfois des marqueurs sociaux assez nets...

Les modes classent et déclassent les prénoms

"A côté de l'élément romanesque, signale Victor Hugo à propos du choix des prénoms de son temps, il y a le symptôme social. Il n'est pas rare aujourd'hui que le garçon bouvier se nomme Arthur, Alfred ou Alphonse, et que le vicomte - s'il y a encore des vicomtes - se nomme Thomas, Pierre ou Jacques. Ce déplacement, qui met le nom élégant sur le plébéien et le nom campagnard sur l'aristocrate n'est autre chose qu'un remous d'égalité. L'irrésistible pénétration du souffle nouveau est là comme en tout. » On peut évoquer aussi Nicolas, prénom bien porté à la fin du XVIIIe siècle , prénom déclassé et réservé aux paysans modestes à la fin du XIXe siècle, prénom à nouveau bourgeois dans les années 1970 … Ce qui n’empêchait pas les arrière grand-mères nées dans les années 1910 de marmonner qu’elles ne comprenaient pas pourquoi on donnait à leur descendance un prénom de vieux meunier. Autre exemple : Baptiste , revenu à la mode à peu près à la même époque, est resté peu attribué dans les classes sociales privilégiées qui l’assimilaient à un prénom de domestique du début du XXe siècle .

L'absence de référence culturelle

En clair, un prénom a inévitablement une image sociale plus ou moins marquée . Pas parce que tel prénom prédispose à avoir tel caractère, on laisse cette hypothèse à ceux qui croient aux boules de cristal, au tarot ou à la voyance. Mais parce que les parents de milieu défavorisé ou qui ont arrêté leurs études au collège ne font pas les mêmes choix de prénoms pour leurs enfants que ceux qui disposent d’un patrimoine culturel important . On connaît tous l’anecdote rapportée par une sage-femme du Val-d’Oise qui avait demandé à une maman qui venait d’accoucher : " Quel prénom voulez-vous donner à votre petit garçon ? – Clitis. – Clitis ? Je ne connais pas. Vous l’écrivez comment ? – Mais voyons, vous savez bien, comme Clitis Wood ! " Si vous n’avez pas compris, relisez cette histoire à voix haute, vous serez horrifiés. Il y a donc déjà des prénoms qui traduisent une absence totale de culture classique des parents. On peut classer par exemple dans cette catégorie les prénoms grecs se terminant en -ée, donc masculins ( Timothée , Orphée , Irénée ...) donnés par erreur à des filles . On peut y mettre aussi toutes les orthographes abracadabrantes inventées aujourd’hui pour certains prénoms : enregistrer à l’état civil Djonathann, Djayzone ou Brayane au lieu de Jonathan, Jason et Brian relève davantage de l’analphabétisme que du souci d’originalité ! Quand l’enfant sera grand et en recherche d’emploi, ces prénoms lui seront peut-être préjudiciables : l’employeur supposera qu’il manque nécessairement lui aussi d’un bagage culturel solide puisque sa famille ne pouvait pas lui en fournir.

Attention aux prénoms anglo-saxons !

Plus le niveau culturel d’une famille est faible, plus elle va passer de temps devant la télévision et les feuilletons insipides . Or, ils sont pour la majorité d’entre eux américains. Les prénoms anglo-saxons sont ainsi arrivés massivement en France par le biais des séries TV . Sue-Ellen et Bobby apparaissent en 1981 , année de la diffusion de la série Dallas en France. Phoebe et Joey décollent en 1996 avec le lancement de la série Friends … Les exemples pourraient être multipliés. C’est ainsi que les prénoms anglo-saxons ( Johnny, Anthony - avec un h -, Samantha, Sydney, Kelly …) se retrouvent quasi uniquement en milieu populaire . Ils peuvent desservir l’enfant devenu grand, sauf si, bien sûr, il est bilingue et né dans une famille franco-américaine , mais c’est une autre histoire…

Attention aux diminutifs !

Peut-être aussi à cause des séries américaines ( les William y sont appelés Bill et les Jonathan Jo , etc., une habitude ancrée depuis longtemps aussi bien aux Etats-Unis qu’en Grande-Bretagne), mais aussi du fait de la vogue actuelle des prénoms très court s, les prénoms qui sont des diminutifs sont de plus en plus nombreux aujourd’hui. Là encore, les choix ne sont pas homogènes selon les catégories sociales. Jacky ne se retrouvait autrefois qu’en milieu populaire, les autres conservant Jacques . Dans les années 1920-1930 déjà, la mode des diminutifs féminins en -ette ne s’était pas répandue uniformément. Paulette, Yvette et Jeannette s’étaient implantées en milieu ouvrier , Paule, Yvonne et Jeanne étaient restées en milieu bourgeois , pour ne citer que ces trois exemples. Et cette règle vaut toujours aujourd'hui. Attention aussi aux prénoms qui sonnent trop "mignons" (Loulou, Doudou et autres fantaisies du même genre) : c'est bien pour des bébés, mais plus du tout pour des adultes.

En conclusion

On pourrait dire en guise de conclusion que plus le prénom est classique (prénom intemporel porté depuis plusieurs siècles), plus il véhicule une image neutre ou positive . Du côté des prénoms nouveaux, plus il est long (trois syllabes au moins) et moins il est anglo-saxon , plus il bénéficie a priori d’ une image sociale valorisante . Bien sûr, tout cela est une question de modes, comme on l’a vu dans le premier paragraphe. Dans cinquante ou soixante-dix ans d’ici, l’inverse sera peut-être vrai. Mais dans cinquante ou soixante-dix ans d’ici, votre bébé à naître sera déjà grand-père et ses débuts dans la vie d’adulte seront derrière lui…

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